mal de mer
Après nous avoir réparti par
groupe, le capitaine nous a donné les premières consignes de travail. Il nous a
rappelé combien il était important pour nous de tenir notre carnet de bord de
manière hebdomadaire afin de ne pas perdre le cap de notre traversée. Je n'ai
pas rempli celui de la semaine dernière.
J'ai mis plusieurs jours avant de me plonger à l'eau, avant de nager toute
seule dans cet océan. Au début, on a froid, on tremble de partout et on claque
des dents. Et puis, petit à petit, l'effort que nous produisons nous réchauffe
et la chaleur se répand dans tout le corps. Il ne faut pas s'arrêter sinon, on
est fichu. Je me suis arrêtée, et je suis tombée malade. Le médecin de bord m'a
prescrit une cure de raisin pendant 4 jours. Manger exclusivement du raisin
toutes les deux heures. Lundi dernier j'ai commencé...Mercredi soir, la faim me
tiraillait l'estomac. J'ai mis plus d'une heure avant de me laisser séduire par
le doux chant des sirènes qui, chaque nuit,
nagent jusqu'à mon hublot pour m'attirer dans leur monde... Me voilà de nouveau
d'aplomb. J'ai rechaussé mes bottes et enfilé mon ciré jaune. Je dois à présent
rattraper mon retard.
Jeudi 06 octobre
L'équipage est divisé en deux. Il y a les "espagnols" et les
"américains". Samira et moi sommes les tutrices de 4 américains :
Kyle, Trevor, George et Amie. Notre groupe vert est pareil à celui de mon
visage qui se décompose à chaque nouvelle vague, à chaque nouvelle acculée, à chaque fois que le catboat tangue...
Le bateau est parti de la pointe du Raz pour rejoindre la côte Est des Etats-Unis. Si l’on en croit le speedomètre, la vitesse est de 25 nœuds, soit 25 milles marins/heure ou, pour parler terrien, plus de 46 km/h.
D’après la règle de Cras, nous en avons pour plusieurs semaines à traverser le courant Nord Atlantique. Celui-ci est une bifurcation du Gulf Stream, naissant dans le bassin de Terre-Neuve. Il coule vers l'est et traverse l'Atlantique Nord jusqu'à la mer de Norvège. C'est grâce à la chaleur qu'il transporte au nord que la température de l'Europe est supérieure de 10° C à la température moyenne des régions de cette latitude.
Ensuite, nous croiserons le courant du Labrador dont l'eau, moins salée que celle de l'Atlantique nord, gèle plus facilement. Ce courant traverse le Grand Banc, au sud-est de l'île de Terre-Neuve. Les icebergs qui se détachent principalement du front des glaciers de marée de l'ouest du Groenland sont transportées vers le sud par ce courant et présentent de graves dangers pour la navigation. Mais avant de sentir le vent glacial venu du nord, je me laisse à rêver de mes activités pédagogiques, de mon projet et de mes apprenants, debout face à cet impérial mât situé à l'avant du navire et que l'on appelle le beaupré. Je m’accroche solidement à la lisse pour ne pas passer par dessus bord car j’aurais beau crier « Au secours ! », personne ici ne m’entendrait. C’est mon quart, et tout le monde est bien trop occupé à discuter, travailler et échanger avec les étudiants étrangers. Je finirais probablement par me faire bouffer les pieds par un gros poisson qui, après m’avoir une fois goûté, me croquera d’un seul coup d’un seul ! Cette idée me sort de mes rêves au moment même où un camarade vient prendre la relève. Je m’enferme dans ma cabine. J’aime bien la solitude, surtout quand je suis en mer. Cette immensité de l’eau nous domine et cependant, je me sens plus libre que sur terre.
Demain (le 13/10), le capitaine nous réunit. Je dois écrire. Il faut que j’écrive. Mais « ça » ne vient pas. J’ai beau retourner les phrases dans tous les sens, « ça » ne veut pas sortir. J’ai l’impression de courir après le sillage de ma pensée. Et Socrate n’est pas là pour me faire accoucher mes idées. Socrate, c’est mon chat. Il déteste l’eau mais adore les poissons ! Allez comprendre comment la nature féline est faite. Je relève ma tête. Je regarde par le hublot et découvre un somptueux couché de soleil. On dirait que le soleil se noie dans la mer qui l’engloutit d’un trait. C’est magique : les couleurs se mélangent entre elles. Elles se confondent presque. La mer délave le jaune et le rouge de la boule de feu qui, petit à petit, s’épuise et s’écroule entre les flots. Pas un bruit. Tout est calme. La nature accomplit son rite journalier sans que personne ne proteste. Le soleil est pareil à Prométhée qui est condamné à mourir et renaître à vie. Je ne me lasse pas de voir ce spectacle chaque jour.
Et c’est peut-être dans cette intimité que je vais réussir à vous livrer ma toute première expérience de tutrice… Nous avions envoyé un mail commun à nos quatre américains et leur demandant de se présenter. Nous avions lancer le sujet de la manière suivante :
Bonjour la « green team »,
Comme vous l'a expliqué Laura, nous allons
être ensemble jusqu'à janvier. Ca fait beaucoup d'heures!
Pour apprendre à se connaître et favoriser l'échange entre nous, nous allons
toutes les deux commencer par nous présenter individuellement. Nous vous
invitons à le faire également et n'hésitez pas à joindre une photo si vous le
désirez.
•Samira: « Je m'appelle Samira, j'ai 27 ans
et comme vous le savez déjà je suis étudiante à l'université Stendhal de
Grenoble (http://www.u-grenoble3.fr/stendhal/index.html). J’ai fait des études
d’anglais. Avant de continuer mon cursus en Français Langue Etrangère, je suis
partie enseigner une année en Norvège. Actuellement je suis en dernière année
de Master tout comme Hélène. J’adore la randonnée d’autant plus que Grenoble et
ses montagnes sont propices à cette activité, je pratique aussi le badminton ».
•Hélène : « Moi c’est Hélène, j’ai 23 ans et je suis étudiante à Grenoble,
grande ville universitaire située au cœur des Alpes. Je suis originaire de
Paris où j’ai fait des études de lettres modernes avant de me spécialiser dans
le FLE à Stendhal. Je suis partie 4 semaines dans le Minnesota cet été, où j’ai
visité une French immersion school. Je garde un excellent souvenir de ce
voyage. Côté sport j’ai fait 10 ans de gymnastique mais maintenant je préfère
lire, écrire et partager mes soirées avec mes amis ».
Après ces présentations, nous sommes sûres que tous les 4, George, Amie, Trevor
et Kyle, êtes enchantés de nous avoir comme tutrices.
N’hésitez pas à nous faire part de vos
attentes quant à nos rôles de tutrices. Si vous avez des questions nous sommes
là pour ça !
Nous nous connectons deux fois par semaine : le Lundi soir et le Jeudi matin. Néanmoins, on se plaît à lire quelques commentaires entre les deux jours de tutorat !
Pour la prochaine séance, nous leur avons demandé de remplir un tableau sous lequel nous avons reformuler certaines phrases de leur e-mail de présentation. Car ils ne se connaissent pas entre eux nous ont-ils dit. Nous avons également proposé le projet que nous aimerions faire avec eux. En effet, nous souhaiterions écrire une histoire ou faire un roman-photos. Kyle nous a envoyé un e-mail dans lequel il disais : « Je crois que nous avons besoin de penser du sujet de notre histoire. Nous pourrions, pour exemple, immaginez un voyage et que chaque étudiant peut écrire une aventure dans une ville qu'il / elle connais bien ». je trouve cette idée intéressante. Elle pourrait mêler les expériences et les goûts de chaque apprenants tout en laissant une grande liberté à leur imagination. Cette histoire pourrait refléter les personnalités de chacun et par la même créer une unité, une cohésion de groupe. Et ce soir, alors que je m’apprête à tomber dans le sommeil, je viens de lire les messages de George et de Trevor qui me bercent de comptines françaises… Je vous fais partager ces quelques moments de bonheurs qui me plongent dans l’océan de l’enfance : « Bonjour ma cousine/Bonjour mon cousin germain/On m’a dit que vous m’aimiez/Ce n’est pas la vérité ?/Je m’en soucie guère/je m’en soucie guère/Passez par ici et moi par là » (George). « Une souris verte/Qui courait dans l’herbe/Je l’attrape par la queue/Je le montre à ces messieurs/Ces messieurs me disent/Trempez la dans l’huile/Trempez la dans l’eau/Ca fera un escargot, tout chaud ! » (Trevor)